Trevor Frost est un photographe et réalisateur de talent qui s’est notamment illustré pour ses œuvres au sein de National Geographic. Dans cet article, il se confie sur son expérience en Amazonie avec Dax Dasilva lors du tournage du film The Heart of a Mission.
En tant que conteur et cinéaste, je suis attiré par les personnes différentes. J’aime les personnes marginales, les rebelles, ceux et celles qui vivent en marge de la société, qui transgressent le statu quo. J’ai cherché la plupart de mes histoires dans des endroits sauvages parce que c’est un endroit facile pour trouver de telles personnes. Comme on peut l’imaginer, un entrepreneur en technologie de Montréal est la dernière personne sur laquelle j’aurais pensé faire un film. D’accord, les entrepreneurs en technologie font preuve d’innovation et ne suivent pas un parcours professionnel normal, mais ce secteur est rempli de personnes qui ont perdu le contact avec la nature, et pire encore, de personnes qui ont le complexe du messie.
Lorsque j’ai accepté de réaliser un film sur Age of Union, la nouvelle alliance pour la conservation de Dax Dasilva, j’ai rédigé un synopsis d’une page décrivant ce que je pensais être l’histoire la plus forte à partager. Le succès de l’histoire en question reposait sur le fait que Dax soit un individu très réactif, toujours prêt à livrer une réplique mémorable. C’est au deuxième jour de notre production sur une rivière isolée de l’Amazonie péruvienne que j’ai réalisé que mon synopsis était bon pour la poubelle : Dax parlait à peine. Il ne faisait qu’écouter et était incroyablement calme, presque méditatif. Visiblement, Dax n’était pas en Amazonie pour dire aux autres comment protéger la forêt tropicale ni pour se répandre en proclamations.
À la fin de notre semaine en Amazonie, j’ai été pris de panique parce que j’avais l’impression de ne pas avoir de quoi réaliser un film, ne serait-ce qu’un court métrage. Lors de notre avant-dernière nuit ensemble, j’ai regardé la plupart des séquences que j’avais captées et c’est là que j’ai compris que Dax se trouvait en Amazonie pour apprendre, mais également pour renouer avec les personnes avec lesquelles il se sentait le plus à l’aise : les personnes qui abandonnent leur vie normale pour contribuer à quelque chose de plus grand qu’elles; dans ce cas précis, un groupe de personnes marginales qui vivent dans la jungle et se battent pour la protéger au nom des créatures qui y vivent.
À cet instant, j’ai su que ce film était l’histoire d’un retour au pays, d’un outsider qui se réunit avec d’autres outsiderspour s’embarquer dans un voyage visant à protéger l’un des endroits les plus exceptionnels de la planète.
La rivière Las Piedras ne ressemble à aucun autre endroit que j’ai visité, non pas parce que la forêt tropicale qui s’y trouve est différente des autres forêts tropicales de basse altitude de l’Amazonie, mais parce que les personnes qui se battent pour la protéger forment un groupe particulièrement insolite. On pourrait croire que la rivière est un refuge pour toutes ces âmes errantes qui y ont abouti parce qu’elles ne trouvaient pas leur place ailleurs. Je crois que notre société a évolué vers une attitude collective consistant à penser qu’avant de se lancer dans quelque chose, il faut suivre des cours, obtenir des certifications, et qu’il ne faut pas oser entreprendre un projet sans avoir effectué les préparatifs les plus minutieux. Je ne m’oppose pas aux formations, aux protocoles ou aux certifications, mais le monde brûle et nous devons agir. Nous avons besoin de personnes qui voient un mal et qui feront tout ce qui est en leur pouvoir pour y remédier.
J’ai rencontré davantage de personnes à la pointe de l’action pour sauver notre planète sur la rivière Las Piedras que partout ailleurs dans le monde. Ce qui rend tout cela encore plus passionnant est le fait que Las Piedras est également un pont sauvage entre trois zones protégées du Pérou : la réserve de Tambopata, le parc national d’Alto Purus et le parc national de Manu.
Pour terminer, il est important de comprendre que depuis des décennies, ceux qui ont assez d’argent pour changer le monde sont principalement des individus qui se satisfont du statu quo. Ils ne donnent que les intérêts que rapportent les placements de leur fondation, ils ne donnent qu’aux organisations les plus sûres, les plus réputées et les mieux connues et ils ne prennent aucun risque. En clair, ils ne répondent pas aux besoins de notre époque.
Si ce que Dax affirme est vrai — que nous avons dix ans pour sauver la planète — il est temps pour ceux qui ont les ressources financières pour changer le monde, de miser sur les projets et les personnes qui ont été largement ignorés jusqu’à présent. Il est temps pour nous tous d’écouter ce que Dax a dit lors de notre dernier jour ensemble en Amazonie, « Je ne considère pas que cette prospérité m’appartient, je sens, à un niveau spirituel, que j’ai l’obligation de prendre ce don et de m’assurer que ce don, ce que nous avons sur cette terre, est dûment protégé. »
CRÉDITS
Article et photos réalisés par Trevor Frost.
À titre de photojournaliste, Trevor Frost a produit des essais photographiques pour plusieurs grandes publications, dont le National Geographic Magazine, le Washington Post et le Wired Magazine. Il a reçu cinq bourses de la National Geographic Society pour ses photoreportages. En août 2019, Trevor est devenu bénéficiaire du fonds de soutien Sundance Institute Documentary Fund pour un long métrage documentaire qu’il co-réalise et produit avec sa partenaire Melissa Lesh. Sans titre au moment de la publication de cet article, le documentaire a été réalisé en Amazonie péruvienne, est maintenant en postproduction et a été récemment acquis par Amazon Studios. Trevor est conseiller principal auprès du Prince Hussain Aga Khan pour les questions de conservation au niveau mondial sur les questions de conservation et est également guide de voyage d’aventure pour Eddie Bauer. En tant que conteur, son intérêt majeur se porte actuellement sur les personnes marginales et marginalisées qui entretiennent des relations émotionnelles uniques avec la faune et la flore sauvages.Il vit à Richmond, en Virginie avec ses trois chats Gecko, Cobra et Bug, ainsi qu’avec un python royal nommé Mana.
Photo de couverture signée Emma Silverstone Segal.